Tu me dis, Léon, qu'il faut que je t'oublie, Parce que dans quelques jours, tu vas te marier. Ce qu'tu demandes là, Mais c'est de la folie, Car il y a des amours qu'on ne peut oublier. Je te l'ai toujours dit : Tu fus le premier homme Qui m'ait, chaste et pure, tenue dans ses bras. Oui, ça te fait sourire. Ben souris, mon bonhomme, Mais ça, c'est une chose Qu'une femme n'oublie pas. Ah oui, j'étais pure ! C'était ridicule. Des choses de la vie, J'savais rien de rien, A ce point que toi, Pourtant, qu'est pas un hercule, Ben, ce que tu m'faisais, J'trouvais ça très bien. Ah ! T'aurais tout de même pas Fait comme ce colosse Des choses épatantes Entre les deux repas. Mais non, mon ami, Non je ne suis pas rosse. Y a tout de même des choses Qu'une femme n'oublie pas. En ce temps là, t'étais pas vêtu comme un prince. Tu gagnais quelque chose Comme cent francs par mois. Quand on a le ventre creux, on a la taille mince. J'aime pas les gros hommes, Ben, t'étais de mon choix. Je menais une vie sobre tout autant que rangée. Ah ! Tu te souviens pas de ça, Maintenant que tu es gras ! Ce que j'en ai bouffé, d'la vache enragée Et ça c'est une chose Qu'une femme n'oublie pas, Ce qui t'empêchait pas de faire Des p'tites bombances Et chercher ailleurs un autre bien que le tien. Ah ! Tu m'en as fait voir De toutes les nuances Et tu prétendais même que le jaune m'allait bien... Et quand je pense que moi, Moi, j'étais fidèle. Dans la vie d'une femme, ça compte. En tout cas, le cas est assez rare Pour que j'me le rappelle Et ça, c'est une chose que j'n'oublierai pas Et le jour où je t'appris Que j'allais être mère, Un enfant à nous, Mais c'était fabuleux... Tiens : Je l'ai ta voix, dans le creux de mon oreille : "Ah non, pas d'enfant ! On est assez de deux !" Ah ! Tu te fiches bien De ma vie, de ma souffrance, Ce qui prouve, mon ami, Que si t'es mufle, au fond, C'est pas d'aujourd'jui Que j'en fais l'expérience Car il y a des choses Qu'une femme n'oublie pas. Ah ! Puis tiens, tu me rendrais méchante. Si je remue tout ça, C'est que j'ai tant de peine. J'croyais qu'on vivrait toujours, tous les deux... Mais non ! J'irai pas chez toi Faire des scènes. Tu veux t'en aller ? Va t'en, sois heureux, Mais t'oublier, non. Je t'avoue ma faiblesse. Songeant au passé, je pleurerai parfois Car ce temps-là, vois-tu, C'est toute ma jeunesse Et ça, c'est une chose Qu'une femme n'oublie pas