Les caveaux de famille ont de pesants mystères Qu'il vaut bien mieux parfois laisser dormir en paix Il faut laisser le droit aux aïeux de se taire Accepter leur baiser et leur silence épais Car s'il vous prend l'envie de chercher vos racines Dans les tiroirs secrets des buffets Henri III Vous y découvrirez des photos qui fascinent Mais aussi le parfum de l'an quarante-trois Vous risquez de trouver au creux des ménagères La francisque martiale sous les couverts d'argent Et dans le cher album la figure étrangère D'un noble et beau vieillard au sourire engageant Tous les enfants de France Ont un second papy Couronné d'espérance Et de chêne au képi Etoile à la houlette Et moustache enneigée Petit Francais, répète : "Tu es notre berger" Il n'est pas vraiment mort le maréchal aimable Il juge vos actions, protège vos vertus Et si son effigie ne trône plus à table Elle veille encore au grain comme un vieillard têtu Au moindre appel, voyez, les regards s'illuminent Cerveaux au garde-à-vous et le cur en gala Les ancêtres oubliant le rock et l'albumine Entonnant tous joyeux "Maréchal nous voilà" Et chacun de conter comment de la défaite Un berger consola tout un peuple vaincu Et comment il sut faire d'un malheur une fête Avec quelques discours et coups de pied au cul. Orphelin de moitié quand mon papa d'OEdipe Trimbalait le complexe plus qu'il n'est de raison Un psychiatre apparut du prénom de Philippe Et mamie s'écria : "Un homme à la maison" ! Alors mon cher papa fit couper ses anglaises Qu'aux pieds du maréchal il s'en vint déposer Petit short kaki et les genoux à l'aise Jurant de féconder notre sexe opposé Se gavant de Doriot plus que de vitamines Il attendait le jour en relisant Péguy Où lui aussi pourrait liquider la vermine Et seconder tonton à traquer les maquis Tous les enfants de France Ont un second papy Couronné d'espérance Et de chêne au képi Etoile à la houlette Et moustache enneigée Petit Francais, répète : "Tu es notre berger" Tata Fernande avait encore sa chevelure Ses coques étagées dont mon oncle était fat Ce bon tonton Marcel, qu'il avait fière allure Sous le béret viril marqué du signe alpha ! Ils veillaient tard le soir et peaufinaient les listes Des amis et voisins qui dessinaient des V Des plouto-francs-macons et des bolcho-gaullistes Des anglo-communistes à jamais enjuivés Et puis au petit jour songeant à la droiture Du héros de Verdun, tonton s'assoupissait Cependant que tata à la Kommandantur Postait ce qu'ils savaient de ces mauvais Francais Tous les enfants de France Ont un second papy Couronné d'espérance Et de chêne au képi Etoile à la houlette Et moustache enneigée Petit Francais, répète : "Tu es notre berger" Quand grand'mère finissait d'espionner les voisines Derrière le frais voilage des rideaux de Vichy Elle semblait inventer la nouvelle cuisine Au mou de veau spongieux farcissant ses hachis "J'aurais tant aimé que papy goûte ma recette" Disait-elle en touillant l'exquis rutabaga Mais grand-père est mort depuis mil neuf cent dix-sept Quelque part sur le front et d'autres petits gars Comme lui ne diront rien à celui qui contemple Leurs noms bien alignés dont l'or déjà s'éteint Car mon grand-père est mort fusillé pour l'exemple Sur l'ordre du bon berger sur l'ordre de Pétain Tous les enfants de France Ont un second papy Couronné d'espérance Et de chêne au képi Etoile à la houlette Et moustache enneigée Petit Francais, répète : "Tu es notre berger"